Les secrets de la solvatation
« Petites leçons de chimie » pour tous les acteurs de prévention en entreprise
Introduction
Pourquoi s’intéresser à la solvatation ? Mieux comprendre les propriétés des solvants c’est mieux maîtriser leur utilisation technique et prendre de manière optimale les mesures de prévention obligatoires ou simplement nécessaires.
La « magie » du phénomène physique de la solvatation
Qu’est-ce que la solvatation ? Pourquoi doit-on utiliser différentes familles de solvants ? Intimement, au sein de la matière comment se déroule la dissolution ?
L’action de dissoudre une substance ou un liquide dans un autre c’est simplement répartir les molécules constituant chacune des deux parties de manière totalement homogène.
Le liquide qui reçoit est le solvant, la substance qu’on y dissout est le soluté, le mélange obtenu est la solution, l’opération porte le nom savant de solvatation.
On peut mettre du vin dans l’eau ou de l’eau dans son vin… Soluté ou solvant, solvant ou soluté ? Le solvant est tout simple le composant majoritaire. Y a-t-il une réaction chimique possible entre le solvant et le soluté ? Par principe non, elle est exclue. On peut toujours retrouver chacun des composants du mélange sous sa forme originelle.
La dissolution de sel dans l’eau permet par évaporation de régénérer l’eau (usine de dessalage) ou le sel (marais salants).
Les trois différentes classes de solvants
Tout ne se dissout pas dans tout c’est bien connu. Pensez à l’huile et au vinaigre. À la graisse et à l’eau. Pourtant des solvants existent pour dégraisser. Il faut donc ouvrir la famille des solvants et comprendre qu’il en existe plusieurs sortes.
Les solvants pétrolier, les composés organiques oxygénés (acétone, méthyléthyle cétone, les alcools… sans oublier les éthers de glycol… Des molécules azotées ou soufrées DMF (diméthylformamide), DMSO (diméthylsulfoxyde))… Et l’eau qui est par excellence le solvant des organismes vivants au sein de laquelle se réalisent les réactions biochimiques si précieuses à nos métabolismes.
Comment s’y retrouver ?
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Solvants apolaires
La clef de la compréhension des classes de solvant est la connaissance des mécanismes intimes de la solvatation. Qu’est-ce qui permet un mélange si homogène et si stable du soluté dans le solvant ? C’est tout simplement le comportement, l’attirance des molécules chimiques entre elles par mise en jeu de forces physiques intermoléculaires. Ces forces sont de nature électromagnétiques, un peu à la façon des pôles des aimants. Elle sont générées par le nuage électronique qui « bourdonne » autour des atomes constitutifs des molécules. (Une molécule étant bâtie par liaison d’atomes entre eux).
Voici la structure du n-hexane (n pour « normale » c’est-à-dire linéaire et non ramifiée…) avec ces six atomes de carbone et ses 14 atomes d’hydrogène. On peut la symboliser à l’extrême sous la forme d’une ligne brisée, chaque atome de carbone étant à une « articulation ».
Si on représente maintenant l’encombrement des orbitales électroniques de tous ces atomes, on comprend mieux la répartition homogène des charges « électriques » tout au long de la charpente moléculaire. On dit que la molécule est non polarisée, ou apolaire.
Une telle structure (chaîne hydrocarbonée ou hydrocarbure) sera compatible avec d’autres chaînes, notamment des huiles ou des graisses (plus la longueur de la chaîne carbonée est grande plus le produit devient visqueux).
Pourquoi l’hexane est-il capable de dissoudre des molécules de graisse ?
La graisse : le soluté et le solvant ici l’hexane
Parce que les deux types de molécules présentent une « carapace » électronique de même nature apolaire.
La graisse : le soluté et le solvant ici l’hexane
Parce que les deux types de molécules présentent une « carapace » électronique de même nature apolaire.
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Solvants polaires et protiques
L’eau, à l’opposé est une molécule dont la répartition des charges électroniques est très fortement irrégulière. L’oxygène attire à lui l’électron unique de chacun des deux hydrogènes qui lui sont liés : H2O
Les molécules polarisées s’attirent les unes les autres en présentant à leurs voisines leurs pôles électriques opposés les plus attirent les moins et vice et versa.
Un tel « amas » de molécules étroitement liées en « réseau » tridimensionnel ne peut accueillir en leur sein de grosses structures apolaires telles que les graisses. Quand on les met en contact, chaque entité reste de son côté réalisant deux phases non miscibles.
les structures polaires et apolaires non miscibles
Les forces polaires mettant en jeu une liaison entre un oxygène et un hydrogène sont dite « liaisons hydrogène ».
les liaisons hydrogènes
On parle de solvants polaires et protiques (protique de proton qui est la particule unique du noyau de l’atome d’hydrogène).
Les alcools (par exemple méthanol, éthanol, propanol… (1, 2 ou 3 atomes de carbone pour la chaîne) sont d’autres solvants polaires et protiques. Ils sont miscibles entre eux et miscibles à l’eau en toute proportion….
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Solvants polaires et aprotiques
Nous avons donc décrit jusqu’à maintenant deux types de solvants : les apolaires et les polaires protiques.
Mais, pour être tout à fait « complet » il faut en fait distinguer dans la famille des solvants polaires une autre sous-catégorie : des molécules qui seraient bien polaires mais qui n’auraient pas le caractère protique. C’est-à-dire dont la polarité ne mettrait pas en jeu des liaisons de type hydrogène. En voici trois exemples parmi des solvants couramment rencontrés en milieu de travail : le trichlorométhane, le DMF (diméthylformamide) le DMSO (diméthyl-sulfoxyde)…
Voilà ce qui explique les compatibilités et les incompatibilités dans la « gente » des molécules solvantes et solutées.
Parmi tous les solvants fréquemment utilisés une famille « originale » mérite qu’on s’y attarde : les éthers de glycol.
Pourquoi si ubiquitaire ? Parce que fondamentalement originale ! En effet, au sein d’une même molécule on retrouve concomitamment, les 3 types de solvatation !
1. Une partie de la molécule (charpente carbonée plus ou moins longue ou cyclique) affiche un caractère apolaire plus ou moins fort.
2. Un ou plusieurs ponts oxygène (fonction éther au sens propre du terme) présentent un caractère polaire et aprotique.
3. Une fonction alcool terminale affirme un caractère polaire et protique.
C’est quasiment la quadrature du cercle !
Voici l’exemple du propyléther de l’éthylène glycol
Dans le triéthylèneglycolbutyléther (TEGBE), vous constatez immédiatement que l’on augmente la quantité des forces apolaires et que l’on a multiplié par trois les centres polaires aprotiques (3 ponts éther pour ce triéthylène). Le caractère polaire protique est resté identique et isolé.
On peut ainsi concevoir ou choisir très précisément le poids de chaque composante de solvatation en fonction de la spécificité du ou des solutés à dissoudre. En pratique, il faut donc choisir en fonction de la nature du soluté que l’on veut dissoudre (nettoyage, extraction…) un solvant ayant des caractéristiques physiques de même nature. Ces connaissances de base montrent que beaucoup de propriétés usuelles indispensables à l’utilisation des solvants s’expliquent aisément avec un minimum de bagage théorique.
On voit bien que la solvatation est un phénomène purement physique. Rien à voir ici avec une quelconque réactivité chimique.
Quelques liens internet intéressants sur le sujet
En anglais
Protic solvent
Dimethyl sulfoxide
Action de solvatation des structures biologiques lipidiques
Cette dimension physique du solvant explique trois conséquences chez l’homme communes à tous les solvants des graisses :
- la délipidisation (appauvrissement en graisse) des couches superficielles de l’épiderme avec peau sèche, crevassée
- les effets aigus ébrio-narcotiques avec, comme pour l’alcool éthylique, une phase d’excitation, puis de sédation pouvant conduire au coma et à la mort.
- effets chroniques : psycho-syndromes organiques associant, troubles de la mémoire, de l’humeur et de divers autres anomalies du système nerveux central.
Référence INRS citant ce terme
Ces effets communs s’expliquent par la solvatation des graisses de l’organisme et par l’action des solvants sur la conduction des influx nerveux.
Toxicologie chimique des solvants
Mais ce n’est pas tout ! Les molécules de solvant sont aussi, sous un autre angle, des entités chimiques qui, vis-à-vis de l’organisme, peut révéler son potentiel de réactivité spécifique à l’encontre des entités biochimiques qui constituent l’organisme humain.
Les molécules de solvant peuvent donc, indépendamment de leurs propriétés physiques de solvatation développer des propriétés chimiques responsables d’une toxicité humaine. Certains solvants chlorés sont toxiques pour le foie, d’autres pour le rein…
Mais ceci est une autre histoire…
Pour en savoir plus sur les solvants : Vers le sommaire du livre la magie des solvants
Nous proposons également une formation internationale sur le risque chimique et la toxicologie coorganisé par le CNAM (Conservatoire national des arts et métiers de Paris) et le laboratoire PREVOR.