L’infirmier(e) de santé au travail ‘IST’ et les produits chimiques
Introduction
Depuis la création du Diplôme Inter-universitaire de Santé au Travail ‘DIUST’ en 1994 puis la Licence au Santé au Travail en France, la réglementation ainsi que le rôle de l’IST ne cesse d’évoluer. D’ailleurs, le dernier rapport établi en mai 2015 par (ISSINDOU-FANTONI) concernant l’aptitude au poste de travail et la médecine du travail ouvre encore plus de portes et permettra à l’Infirmier(e) de mieux exercer son rôle en tant qu’acteur de la prévention en santé au travail.
Dans ce rapport la mission propose « le remplacement de la visite d’embauche par une visite obligatoire d’information et de prévention réalisée par l’Infirmier(e) en santé au travail sous la responsabilité du médecin du travail. A l’issue de cette visite, l’Infirmier(e) pourra décider de l’orientation du salarié vers le médecin du travail s’il le juge nécessaire. La périodicité des visites infirmières ou médicales ultérieures sera déterminée dans le cadre de cette visite, sur la base de protocoles et après un éventuel échange avec le médecin du travail. Cette visite devra avoir lieu au plus tard dans les trois mois suivant l’embauche pour les salariés occupant un poste à risque, six mois pour les autres ».
Dans d’autres pays tels que la Grande Bretagne, la Finlande, les pays nordiques, les Etats Unis… l’Infirmier(e) formé(e) en santé au travail occupe déjà pleinement son rôle dans l’accompagnement du salarié pour le maintien de sa santé et de sa sécurité au travail.
Ayant été au cœur de la création de ces formations qualifiantes, j’ai souhaité, maintenant que mes nouvelles fonctions me le permettent, partager avec vous mon expérience concernant les produits chimiques qui a priori est un domaine qui fait peur et dont on n’a pas toujours les outils pour mieux connaître, comprendre et apprivoiser les mécanismes chimiques de base dans le but d’améliorer la santé et la sécurité des salariés.
Nous allons tout d’abord, dans ce premier dossier, aborder l’inventaire du danger.
D’autres dossiers concernant l’évaluation du risque au poste de travail, les mesures de prévention, collectives et individuelles, le protocole de prise en charge des accidents chimiques, ainsi que la dimension psychologique de la victime suivront.
Objectifs
L’inventaire du danger doit servir de base à l’employeur pour la mise en œuvre d’un programme de prévention adapté aux besoins. Mais pour cela nous devons d’abord faire l’inventaire du danger chimique quel que soit notre environnement de travail. C’est la phase de repérage des dangers. Il s’agit de connaître et comprendre la nature du danger, d’identifier les produits chimiques utilisés, première étape souvent oubliée pour s’attaquer directement à l’évaluation des risques, document unique oblige ! Cette démarche va fournir aux acteurs de prévention des informations complètes sur les produits chimiques utilisés ou stockés dans l’entreprise ainsi que le mélange des substances sans oublier les aspects culturels, comportementaux et l’habituation face au danger.
Le danger
« L’odeur ne présente pas de danger, mais le danger n’a pas d’odeur ». Le danger d’un produit est lié à son potentiel de réaction. Un produit chimique dangereux peut devenir fatal en quelques secondes. La notion de danger est intrinsèque à la molécule chimique. Le danger peut provenir de plusieurs sources. Ce peut être une substance en tant que telle, un mélange de substances, une co-exposition à plusieurs substances, des incompatibilités de stockage, une dégradation des substances en cours d’utilisation, des intermédiaires générés au cours du processus technique, des déchets. Le danger dépend aussi de l’état de la matière, gaz, liquide, solide, aérosol, poussières etc. de ses propriétés physiques, point d’éclair, tension de surface et évaporabilité, pH après dilution ainsi que ses propriétés toxicologiques.
Méthodologie
Le repérage du danger nécessite des connaissances dans différents domaines : la nature du produit chimique, la classification officielle des dangers, propriétés physiques de la substance ou des mélanges ainsi que des propriétés toxicologiques. Le danger est classifié officiellement en dangers physiques, (16 items), dangers pour la santé (10 items), et dangers pour l’environnement (2 items) et comprend ainsi 28 classes de danger distinctes. En ce qui concerne le danger pour la santé, il est classifié en tant que toxicité aiguë, corrosion/irritation cutanée, lésions oculaires graves ou irritations, sensibilisation respiratoire ou cutanée, mutagénécité sur les cellules germinales, cancérogénicité, toxicité pour la reproduction, toxicité pour certains organes cibles, exposition unique ou répétée, et danger par aspiration.
Pour la pratique il convient de :
- Connaître et comprendre la nature intrinsèque du danger chimique liée à la structure moléculaire et détaillée sur les données des étiquettes et des FDS pour faire un inventaire des dangers chimiques au poste de travail
- Recueillir les données concernant l’exposition, soit : la quantité, la fréquence, les voies de pénétration, l’unité de travail, groupe homogène d’exposition, fiche individuelle d’exposition. La mise en œuvre a aussi son importance : par exemple un produit chauffé peut dégager d’autres composants qui peuvent être dangereux.
- Recueillir les informations techniques essentielles sur les dangers chimiques en entreprise, les situations dangereuses ainsi que toutes les expositions susceptibles d’exister.
- Repérer les agents chimiques et répertorier leurs propriétés dangereuses, toxicologiques mais aussi physico-chimiques.
- Faire un inventaire tenu à jour des produits utilisés dans l’entreprise, mais aussi stockés, émis ou en passe d’être éliminés.
- Analyser des situations de travail de manière autonome dans le cadre d’une délégation encadrée
- Noter et quantifier les informations sur les dangers que chacun présente
- Lister et noter les utilisateurs des produits
- Hiérarchiser les informations par classe de danger, catégories et niveaux.
Recueil des informations sur le danger : se référer au Système Global d’Harmonisation, ‘SGH’ en ce qui concerne les éléments à encoder qui pourront être le nom commercial, le nom chimique, le numéro CAS (identifiant universel) et européen, les listes de pictogrammes de danger, la classe de danger, état de la matière, produits de dégradation, quantité (entrées, sorties) ainsi que la fréquence d’utilisation etc. Evidemment un support informatisé comprenant une saisie commune à plusieurs établissements ou plusieurs entreprises et un classement automatique sur chacun des critères retenus, le début et la fin d’exposition pourra être utile.
Mise en commun en équipe pluridisciplinaire, médecin du travail et autres collaborateurs : une fois la première phase de repérage de danger terminée, on recadrera, on complétera puis on validera avec le médecin du travail et son équipe cette première phase de travail. Ce travail, fait par l’infirmier(e), permettra un échange d’expérience et de vécu professionnel. Il permettra aussi, si nécessaire, une seconde visite ou des études plus approfondies des postes de travail afin de peaufiner les niveaux et les circonstances d’exposition, indispensable à la seconde phase qui sera l’évaluation des risques en condition réelle d’exposition (voir Dossier 2) avec la section des caractéristiques plus précises des polluants, tâches de travail annexes ou exceptionnelles, l’analyse du travail réel par rapport au travail prescrit.
Conclusion
Ce premier dossier nous permet de comprendre que l’infirmier(e) formée au Savoir, et au Savoir-faire peut réellement contribuer de manière efficace aux différentes phases de recueil d’informations, d’évaluation, de hiérarchisation. L’infirmière formée pourra utiliser ses compétences concernant la démarche projet et remplira ainsi pleinement son rôle de préventeur et d’accompagnateur dans le but d’améliorer la santé et la sécurité des salariés au cours de la phase ultérieure de l’évaluation des risques en entreprise.
NB: Vous avez peut-être des questions, ou une expérience à partager. Aussi nous serons ravis de votre contribution afin que ce « coin infirmier « soit interactif, productif et riche d’informations pour les uns et les autres quel que soit, le recueil d’informations sur le danger, l’analyse de la hiérarchisation des données, vos fonctions, ou le pays où vous exercez votre profession.
Janine Bigaignon