Mécanisme de la brûlure et formation de la lésion chimique
Qu’est-ce qu’une lésion chimique ?
Une lésion chimique est la conséquence locale de la réaction de produits chimiques corrosifs ou irritants qui réagissent avec les tissus biologiques. C’est la blessure externe provoquée sur le corps par le produit chimique.
La lésion chimique se caractérise par la destruction partielle ou totale des tissus biologiques.
Le produit chimique réagit avec un composé biochimique du tissu (une molécule, une cellule, une protéine…). Cette réaction détruit l’équilibre biologique du tissu. La modification du tissu va provoquer la lésion macroscopique observée. Plus la destruction du tissu sera importante, plus la lésion sera grave : la gravité de la lésion chimique est essentiellement liée au type de produit à la nature du tissu atteint et à la surface touchée.
La peau, l’œil, les voies digestives ou respiratoires sont en contact direct avec l’extérieur du corps. Ce sont donc les premières cibles des produits chimiques. On parle de lésions chimiques pour les blessures infligées par le contact des produits chimiques sur ces tissus particuliers.
La lésion chimique peut être également associée à d’autres symptômes généraux.
Lorsque le produit chimique qui provoque la lésion chimique est toxique ou nocif et pénètre à l’intérieur du corps, jusque dans les organes ou le sang, il peut interagir avec d’autres cibles biologiques.
Par exemple, le benzène est irritant pour la peau et les yeux. C’est un produit cancérigène et mutagène : il peut aussi s’intercaler dans les chaines de l’ADN et perturber la division cellulaire. Il peut également conduire à la destruction des cellules (aplasie) ou à une prolifération des cellules de la moelle hématogène (organe qui fabrique les précurseurs des cellules sanguines). Cela peut provoquer une leucémie.
Quels sont les produits chimiques qui provoquent une lésion chimique ?
Les produits chimiques qui peuvent provoquer une lésion chimique sont classés selon la gravité des lésions qu’ils peuvent provoquer : ils sont corrosifs ou irritants.
Un produit chimique est classé parmi les corrosifs ou les irritants quand il est capable de réagir avec des composés biochimiques des cellules et des tissus de la peau, de l’œil, des voies respiratoires ou digestives. La réglementation CLP/GHS de l’Agence européenne des produits chimiques donne les définitions suivantes des produits corrosifs ou irritants (CLP page L 353/87 ) :
- La corrosion cutanée est la production de lésions irréversibles de la peau se traduisant par des nécroses visibles de l’épiderme et du derme suite à l’application d’une substance pendant une durée allant jusque 4 heures.
- La réversibilité des lésions cutanées est à considérer dans l’évaluation du caractère irritant d’une substance.
- Lorsqu’il provoque une lésion sévère, il est corrosif. Les produits corrosifs provoquent la destruction des tissus avec lesquels ils sont en contact.
- S’il provoque seulement une irritation, une rougeur, une inflammation, il sera irritant.
- Un même produit chimique peut être corrosif ou uniquement irritant selon les circonstances :
- S’il est en mélange ou pur
- Selon sa concentration
- Selon l’environnement dans lequel il se trouve
- Le danger représenté par un produit chimique est identifié sur son étiquette par le fabricant selon les obligations réglementaires de l’agence européenne des produits chimiques.
Exemple
L’acide chlorhydrique, HCl (couramment utilisé comme produit détartrant).
Dans le commerce, on trouve l’acide chlorhydrique sous forme de solution dans l’eau.
Selon les recommandations européennes, les solutions d’acide chlorhydrique dans l’eau sont classées comme corrosives si leur concentration en HCl est supérieure à 25% et irritantes si leur concentration en HCl est comprise entre 10 et 25%.
Concentration de la solution d’HCl dans l’eau | Classification | Étiquetage | Phrases de risque associées |
>25% | Corrosif |
– H314 : Provoque de graves brûlures de la peau et des lésions oculaires – H335 : Peut irriter les voies respiratoires |
|
Entre 10% et 25% | Irritant |
– H315 : Provoque une irritation cutanée – H319 : Provoque une sévère irritation des yeux – H335 : Peut irriter les voies respiratoires |
Quel est le mécanisme de la lésion chimique ?
Tout commence par une réaction chimique entre deux molécules. Au niveau microscopique, la lésion chimique résulte d’une réaction chimique entre un produit chimique agresseur et un constituant biologique.
Cette réaction détruit le constituant biologique et donc le tissu. Cela forme la lésion chimique.
Le mécanisme de formation de la lésion dépend de nombreux paramètres dont le plus important est la nature de la réaction engagée.
En fonction de sa nature, chaque produit chimique va réagir avec un composé différent du tissu biologique selon l’une des actions suivantes :
- Réaction acido-basique : réaction d’échange d’un proton H+ entre un acide et une base
- Réaction d’oxydo-réduction : réaction d’échange d’électrons entre un oxydant et un réducteur
- Chélation ou formation d’un complexe à partir de deux molécules.
- Solvatation : dissolution d’une espèce chimique dans un solvant.
Exemples
- Réaction acido-basique entre les ions OH- de la soude et les liaisons ester des graisses.
- Solvatation des lipides des membranes cellulaires par les solvants hydrophobes (gasoil, toluène)
- Chélation des ions calcium Ca2+ contenus dans les cellules par les ions fluorures F- (provenant par exemple de l’acide fluorhydrique HF).
Il y a autant de réactions qui peuvent former des lésions chimiques que de couples produit chimique agresseur/cible biologique.
Les étapes de la formation d’une lésion chimique
Le mécanisme de formation de la brûlure peut être décomposé en trois phases.
- Le contact entre le produit chimique et le tissu
- La pénétration du produit chimique dans le tissu
- La réaction chimique entre le produit et un composé biologique du tissu
Le contact cutané ou oculaire est effectué lorsque le produit chimique est projeté sur la peau ou dans l’œil. Le contact avec les voies digestives (bouche, œsophage, estomac…) a lieu quand le produit chimique est avalé. Pour les voies respiratoires, il a lieu lorsque des vapeurs du produit chimiques sont respirées.
Une fois le produit en contact avec le tissu, il peut pénétrer à l’intérieur du tissu, malgré les barrières biologiques. Les caractéristiques du produit chimique définissent son potentiel et sa vitesse de pénétration à travers le tissu.
Exemples
- Un produit chimique solide ne pénètre pas facilement à travers la peau.
- Une petite molécule chimique pénètre généralement plus rapidement qu’une grosse molécule.
- Une molécule pénètre plus facilement si elle est lipophile.
Le produit chimique va pénétrer dans le tissu jusqu’à atteindre un constituant biologique avec lequel il va pouvoir réagir. La profondeur de pénétration du produit chimique dans le tissu avant de réagir dépend donc de sa nature.
Le produit chimique peut ensuite réagir avec sa cible biologique.
Une fois que le produit chimique a atteint le constituant biologique du tissu cible, la réaction chimique a lieu. L’équilibre biologique est modifié, le tissu est localement détruit et la lésion se forme.
La lésion se forme donc uniquement lors de la réaction chimique, lorsque le produit chimique a atteint sa cible. Chaque projection de produit chimique contient un très grand nombre de molécules susceptibles de réagir avec une molécule-cible ou une cellule-cible du corps humain. La lésion progresse ainsi tant qu’il reste du produit chimique en contact avec le tissu et qui n’a pas encore réagit.
Une intervention rapide après le contact permet de limiter l’étendue de la lésion : la décontamination d’urgence est primordiale.
Les facteurs qui aggravent la lésion
La nature, la profondeur et la gravité de la lésion dépendent de nombreux facteurs
- La nature du produit chimique agresseur
- Sa concentration
- Le temps de contact entre le tissu et le produit chimique
- La température du produit chimique et la pression
En fonction de leur nature, les produits chimiques vont réagir avec des cibles biologiques différentes. Chaque réaction va avoir des conséquences microscopiques différentes sur les cellules et cela va provoquer des lésions macroscopiques qui n’auront pas les mêmes caractéristiques.
Exemple
Un acide va réagir avec les protéines et provoquer leur coagulation alors qu’une base va dissoudre les cellules par saponification des acides gras des membranes cytoplasmiques et provoquer des nécroses de liquéfaction des tissus.
La forme sous laquelle se présente le produit chimique et notamment sa concentration est un paramètre déterminant dans la formation de la lésion. La concentration du produit chimique détermine la quantité de molécules agressives qu’il y a dans un volume donné de produit. Plus le produit est concentré, plus il va contenir de molécules agressives. Un produit chimique plus concentré provoquera des lésions plus graves.
Par exemple, les solutions d’acide chlorhydrique dans l’eau sont classées comme corrosives si leur concentration en HCl est supérieure à 25% et sont seulement irritantes si leur concentration en HCl est comprise entre 10 et 25%.
Le temps de contact entre le tissu et le produit chimique est déterminant. Le produit chimique présent à la surface de la peau, de l’œil va pénétrer dans le tissu et réagir progressivement. Plus le temps de contact entre le tissu et le produit chimique est important, plus la quantité de produit chimique qui va pouvoir réagir est importante et plus la lésion sera grave.
La température du produit chimique agresseur et la pression avec laquelle la projection est faite sont également à prendre en compte. Ils vont avoir une influence sur la vitesse de pénétration et de réaction. Un produit chimique chaud réagit plus facilement qu’un produit froid car il a plus d’énergie.
Pourquoi parler de lésion chimique plutôt que de brûlure ?
Lésion chimique ou brûlure chimique ? Les lésions provoquées par les produits chimiques sur le corps humain sont très différentes des brûlures thermiques. Les mécanismes de formation de ces blessures sont différents : simple transfert de chaleur pour la brûlure thermique, il implique une réaction chimique dans l’autre cas. Les temps de cicatrisation de ces deux types de lésions sont variables. La distinction sémantique est donc également nécessaire.
Pour plus d’informations, lire l’article suivant: Pourquoi parler de lésion chimique plutôt que de brûlure chimique?
Traitement secondaire et soins de la lésion chimique
Les lésions chimiques peuvent nécessiter des traitements secondaires et une prise en charge par un médecin. Ces traitements doivent être adaptés au danger spécifique de chaque produit chimique et à la gravité de la lésion.
Lors d’une exposition humaine à un produit chimique, la première urgence est le lavage.
Lorsque la décontamination en premiers secours est terminée et a été efficace, la lésion chimique ne progresse plus. Il est alors possible de traiter les dommages établis afin de faciliter la cicatrisation.
Si le produit chimique est toxique, il est maintenant possible de traiter ce danger.
Le traitement secondaire doit être adapté:
- Il doit être spécifique au produit chimique concerné
- Il doit être dimensionné en fonction de la lésion formée
- Les lésions chimiques sont couramment prises en charge dans les centres de brûlés des hôpitaux. Le traitement s’apparente souvent à celui nécessaire en cas de brûlure thermique, avec quelques différences :
- La cicatrisation est plus longue
- Les greffes prennent moins bien sur les lésions chimiques que sur les brûlures thermiques
Pour plus d’information sur le traitement adapté à chaque produit chimique voir la liste des produits testés
Pourquoi laver et décontaminer une brûlure chimique ?
Les produits chimiques corrosifs et irritants réagissent avec les composés biologiques de la peau ou de l’œil. Cela crée des lésions ou brulures cutanées ou oculaires dont les conséquences peuvent être très graves.
En cas de contact d’un produit chimique corrosif ou irritant avec la peau ou l’œil, il est très important de limiter les réactions de ces produits avec les tissus. Le produit chimique réagira avec le tissu tant qu’il est en contact avec lui et qu’aucune action ne stoppera son agressivité.
Pour décontaminer efficacement, il faut limiter le temps de contact et les réactions entre le produit chimique agressif et le tissu biologique.
Pour cela, il faut :
- Retirer le produit chimique présent à la surface de la peau ou de l’œil
- Stopper la pénétration du produit chimique à l’intérieur du tissu et extraire le produit chimique qui a déjà pénétré
- Diminuer le potentiel corrosif ou irritant du produit chimique pour empêcher la formation de lésions.
Il faut donc agir le plus rapidement possible et éloigner le produit chimique de ses cibles biologiques.
La prise en charge d’urgence nécessite donc de :
- Déshabiller la victime. Si la projection a touché les habits, ceux-ci sont imbibés d’agent corrosif ou irritant susceptible de réagir s’il est en contact avec la peau.
- Effectuer un lavage abondant qui permettra de retirer mécaniquement le produit chimique de la surface du corps et de le diluer pour le rendre moins agressif. Une action chimique potentielle de la solution de lavage peut également stopper l’agressivité du produit chimique et limiter ainsi les lésions qu’il cause sur les tissus.
Un lavage rapide et abondant permet donc une décontamination efficace des tissus qui ont été placés en contact avec un produit chimique dangereux.
Quels sont les avantages et limites du lavage à l’eau ?
« Laver abondamment à l’eau ». Cette recommandation de décontamination de projections chimiques est historique et reste largement répandue. Toutefois, le lavage d’une projection de produit chimique à l’eau présente des avantages et des inconvénients.
C’est la première solution qui a été proposée pour la décontamination d’urgence de tissus mis en contact avec un produit chimique.
Le lavage à l’eau présente des avantages pratiques qui sont souvent avancés : sa disponibilité et sa polyvalence. En effet, l’accès à l’eau est en général facile. De plus, elle permettra de laver une grande majorité des produits chimiques avec la même efficacité.
L’action de l’eau sur une projection de produit chimique est mécanique : l’eau va laver le produit chimique et l’enlever de la surface de la peau ou de l’œil. Cet effet mécanique est le principal effet du lavage.
De plus, le lavage à l’aide d’une grande quantité d’eau va permettre de diluer le produit chimique. Moins le produit chimique est concentré, moins il est agressif pour les tissus biologiques.
Cependant, le lavage à l’eau a une action limitée et présente quelques inconvénients.
Le lavage à l’eau favorise la pénétration du produit chimique à l’intérieur des tissus. En effet, l’eau a une pression osmotique inférieure à celle de la peau ou de l’œil. Ainsi, une partie de l’eau utilisée pour le lavage va pénétrer à l’intérieur du tissu et entrainer avec elle un peu de produit chimique. Le produit chimique qui aura pénétré pourra ensuite réagir avec les tissus et créer des lésions et des brûlures. Cette action est appelée « Effet Wash-In » [1]
Le lavage à l’eau n’a aucune action sur le produit chimique qui a déjà pénétré dans les tissus. L’eau ne permet pas d’éliminer le produit chimique qui est déjà entré dans la peau ou dans l’œil. La quantité de produit corrosif ou irritant qui a pénétré va pouvoir réagir avec ses cibles biologiques et créer des lésions chimiques. Ainsi, si le produit chimique a déséquilibré l’équilibre physiologique, le lavage à l’eau n’aidera pas au retour à un état physiologique. Par exemple, un acide qui pénètre dans la peau va diminuer le pH du tissu qu’il contamine. Laver à l’eau ne permettra pas le retour à un pH normal pour la peau.
L’eau n’a pas d’action chimique sur la réactivité du produit chimique. Le lavage à l’eau ne permet pas de diminuer le danger présenté par le produit chimique.
Afin d’obtenir un résultat optimal, le délai d’intervention pour un lavage à l’eau est très court. Aux Etats-Unis, la norme de l’American National Standard Institute (ANSI) recommande de commencer le lavage dans les 10 secondes qui suivent une projection de produit chimique dans l’œil.
Finalement, le lavage à l’eau permet de :
- Laver mécaniquement le produit chimique de la surface du tissu
- Le diluer
Des études expérimentales ont montré que le lavage à l’eau n’était pas optimal et qu’il était possible d’améliorer la prise en charge d’urgence d’une brûlure chimique, notamment pour les produits corrosifs et irritants.[2]
Notre solution, cliquez ici pour en découvrir plus.
[1] Moody, R. P.; Maibach, H. I.; Skin decontamination: Importance of the Wash-in effect, Food and Chem. Toxicol. 44 (2006) 1783-1788
[2] Andrews K, Mowlavi A, Milner S The treatment of alkaline burns of the skin by neutralization. Plastic Reconstr Surg 2003 ; 111 : 1918-1921